Bamba
de "pampa" en quechua, "plaine au pied des montagnes"
Un projet de recherche & développement open source
La BAMBA, pour « Beautifull And Made for You Built Area », est un projet de recherche & développement open source, proposé en 2018 par Paul Lempérière, Amandine Hernandez, Denis Caraire, Thomas Hanss et David Miet. Ce projet s’adresse à l’ensemble des acteurs de l’aménagement du territoire : il vise le déploiement rapide d’une offre massive de maisons abordables et sur mesure, bien situées, au cœur des agglomérations et des métropoles.
Esquissée pour la première fois à l’automne 2018 par Villes Vivantes pour la Ville de Clermont-Ferrand, en réponse à un appel d’offre recherchant des solutions pour poursuivre le développement de l’écoquartier de La Grande Plaine, la BAMBA fait aujourd’hui l’objet :
- d’études pré-opérationnelles dans plusieurs sites en France,
- d’une première expérimentation grandeur nature à Clermont-Ferrand, avec la production et la commercialisation d’une centaine de lots lits denses découpés sur mesure selon des projets co-conçus avec leurs futurs habitants.
Passer d’un urbanisme de « macro-lots » à un urbanisme de « micro-lots »
L’appel d’offre lancé en cette rentrée 2018 par la ville de Clermont-Ferrand et Clermont Métropole pour achever l’urbanisation de la Grande Plaine a été, pour l’équipe de recherche de Villes Vivantes, une heureuse découverte. Les conclusions auxquelles sont arrivées le groupe de travail d’élus et de techniciens qui portent ce projet depuis de nombreuses années et qui ont décidé de lui donner cette franche inflexion rejoignent celles que nous formulons à l’issue de nos expériences d’urbanistes, d’architectes et d’accompagnateurs de porteurs de projets ces dernières années. Notre intuition est double :
- Nous croyons premièrement que l’urbanisme de la standardisation doit laisser place à celui de la personnalisation : l’habitat peut devenir une offre de service sur mesure au service des habitants. Chacun d’eux peut être le co-concepteur, le maître d’ouvrage de son habitat, sans passer par les filtres et les grilles de commercialisation d’un promoteur.
- Nous pensons qu’il faut ajouter, à cette transformation de l’urbanisme vers la personnalisation, une deuxième transformation : celle de la miniaturisation des opérations. Plus les projets de construction sont de taille modeste, plus le risque et la complexité financière et immobilière sont réduits, plus la liberté architecturale et urbanistique, mais également politique et sociologique, s’en retrouve renforcée, plus l’urbanisme peut devenir agile, souple, adéquat et nos villes bien orientées, bien pensées, écologiques, fraîches et vibrantes.
Il s’agit, en d’autres termes, de sortir du paradigme de la promotion immobilière, hérité d’une vision industrialisante de la production de l’habitat, pas tant du point de vue technique ou de la fourniture des matériaux que de celui du montage opérationnel, commercial et financier, et des risques et marges associés à des tailles d’opération trop importantes et imposantes.
Le paradigme industriel de la production de l’habitat implique de concevoir et de construire pour des habitants fictifs, qui ne sont pas encore connus ; pour un « marché » abstrait, qui se satisfera de murs peints en blanc ! Il implique ainsi une prise de risque financier, une complexité de montage qui font monter les coûts, alors que le taux d’effort pour se loger s’est littéralement envolé en France depuis le début des années 2000, notamment dans les territoires métropolitains. Les difficultés de commercialisations qu’a connu la ville de Clermont-Ferrand avec les macro-lots du quartier de Champratel, préalables au lancement de l’expérimentation BAMBA la Grande Plaine, sont tout le symbole de l’inadéquation de ce modèle de la promotion immobilière et des macro-lots aux problématiques des métropoles contemporaines. Nous pensons que l’avenir est aux « micro-lots » qui seront moins risqués, plus souples, plus denses, compatibles avec une implication bien plus importante des habitants eux-mêmes dans le processus de production du projet et, surtout, qui produiront un urbanisme à la morphologie plus humaine, délicate, variée et vivante.
Pourquoi le modèle de la production de logements en promotion immobilière ne répond plus aux demandes ?
Par réflexe, héritage culturel et parce que les promoteurs et bailleurs sont devenus ces dernières décennies les partenaires privilégiés des élus et des urbanistes travaillant au développement de projets urbains, nos opérations d’aménagement aboutissent très souvent à la production de macro-lots qui sont proposés à des équipes de promoteurs et d’architectes. Ce modèle présente plusieurs limites sérieuses qui en font, de moins en moins souvent, une réponse pertinente aux problématiques des cœurs d’agglomération et des métropoles.
La première de ces limites réside dans le coûts de production de logement en promotion (entre 2 000€ et 2 500€/m² hors foncier, en 2018) qui contraint les promoteurs à ne payer qu’une contribution limitée en charge foncière pour financer les aménagements et équipements de la zone. Ainsi, partout en France et depuis de nombreuses années, les lots libres vendus directement à des particuliers sont-ils utilisés, en fin de parcours, pour équilibrer des bilans financiers de ZAC qui ne peuvent pas l’être par les opérations de promotion « classiques » mélangeant une part de logements sociaux et une part de « libre », rendue possible pour l’essentiel par les dispositifs de défiscalisation.
La seconde limite est le corollaire de la première : les logements produits en promotion immobilière sont trop chers ; le prix pour un appartement avec espace extérieur est supérieur à ce que les primo-accédants sont prêts à mettre pour une maison avec jardin ; il y a une inadéquation très forte entre les aspirations et capacités financières des ménages, et la nature et le prix de ce qui est proposé dans un immeuble d’habitat collectif produit en promotion.
La conséquence est double : les accédant n’ont ni les moyens financiers ni l’envie de s’installer dans ces appartements, fussent-ils construits le long du tramway, et les promoteurs doivent les vendre à des investisseurs comme produits locatifs avec défiscalisation. Quant aux familles et aux jeunes ménages, ils louent ces appartements au début de leur trajectoire résidentielle et s’échappent, dès qu’ils le peuvent, dans le péri-urbain pour y trouver un confort à prix abordable.
La troisième limite de ce modèle est celle l’image de standardisation des logements qui est renvoyées par les immeubles collectifs, les formes d’habitat intermédiaire et même des maisons groupées, en bande, qui restent perçues avec un « effet de barre » par les riverains. Les plans de distribution, les façades, les finitions, le choix des couleurs, les dispositions extérieures marquent des répétitions à l’identiques qui créent un effet d’échelle et un impact visuel fort sur l’environnement. Une image de standardisation du logement qui ne facilite pas son appropriation et lui donne, souvent, un caractère non naturel, un aspect artificiel voire imposant que n’avaient pas les formes antérieures de l’habitat individuel dense à l’instar des bourgs de tous nos villages.
L’habitat participatif en France : comment lui donner un essor quantitatif ?
L’habitat participatif s’est développé en France à partir des années 70 et, après une quasi-disparition dans les années 90, réapparait dans les années 2000 pour représenter aujourd’hui plus de 500 projets en France partageant une idée simple : des particuliers se regroupent afin de concevoir, réaliser et gérer ensemble leurs logements, conçus pour répondre aux besoins d’écologie et de lien social, ainsi qu’aux possibilités de financement de chacun. Les projets d’habitat participatif placent les habitants en position d’acteurs collectifs. Ils rassemblent trois caractéristiques principales :
- Des personnes motivées pour participer à la conception puis à la gestion de leurs logements, se regroupent en amont de la phase de conception. Elles s’entendent sur un projet partagé et mutualise des ressources pour y parvenir (compétences, finance, temps, réseau relationnel…),
- L’ensemble d’habitation possède des espaces de vie commune représentant une part substantielle des espaces habitables privés (de 8 à 15% environ), supports de liens de solidarité de proximité,
- Une fois installés, les habitants prennent en charge collectivement la gestion du bâtiment.
On distingue plusieurs familles d’habitat participatifs. Si certains projets se développent en partenariat avec des collectivités et des organismes HLM (avec des tailles de projet s’échelonnant entre 20 et 40 familles), et d’autres sous formes de coopératives militantes, la modalité « historique », demeure cette des projets en autopromotion : les habitants constituent un collectif qui porte la maîtrise d’ouvrage de l’opération, avec des centaines de projets réalisés avec une moyenne de 7 logements (de 3 à une douzaine de logements).
Ce type de projet est attractif par les ambitions qu’il se propose d’atteindre : meilleure qualité de vie par un projet sur mesure, une vie sociale riche nourrie de solidarités, des espaces mutualisés ‘en plus’, une grande qualité écologique, des économies… L’habitat participatif reste toutefois limité par les efforts qu’il demande aux habitants : en termes de prise de risque, de temps à investir et de complexité – les facteurs techniques s’ajoutant à la complexité humaine de gestion d’un collectif.
Les collectivités territoriales lancent, depuis l’exemple de Strasbourg en 2010, des appels à projet dédiés à l’Habitat participatif. Cet outil facilite l’émergence de projets en proposant un parcours sécurisé qui facilite l’acquisition d’un terrain – principale difficulté des collectifs d’habitants. La ville de Tübingen, en Allemagne, a développé un quartier entier (le ‘quartier français’) sur la base de projets d’habitat participatif en autopromotion : les projets habitants ont été sélectionnés sur la base des apports qu’ils proposaient de réaliser à leur quartier ; plus de 200 projets réalisés représentant environ 80% de la production de logement neuf. Ces appels à projet ont pourtant une limite : en proposant un terrain (et donc une quantité de logements) et un mode opératoire, ils obligent à chercher ‘le’ collectif qui va s’épanouir dans cette configuration… alors que les collectifs se constituent progressivement, regroupant des habitants peu enclins à rentrer dans des cases.
Deux pistes nous semblent prometteuses pour dépasser ces limites et permettre à l’habitat participatif de contribuer de façon significative à la production des logements attendus dans les années à venir :
- La première consisterait à disposer d’une trame foncière flexible et d’un dispositif d’accompagnement permettant de mettre en place les modalités de maîtrise d’ouvrage adaptés aux besoins du collectif d’habitants et d’adapter, au bout du processus, le découpage foncier aux besoins réels des collectifs qui auront émergé progressivement.
- La seconde consisterait, toujours pour gagner en souplesse et élargir la demande, à développer un accompagnement centré sur des petits groupes de 2, 3, 4 ou 5 porteurs de projets intervenant sur des micro-lots distincts, sans s’interdire d’accompagner des groupes plus importants s’ils émergent.
Les lots libres accompagnés par un architecte : comment les rendre déployables à grande échelle ?
Les lots libres accompagnés par un architecte conseil ont également été expérimentés ces dernières années, soit pour rééquilibrer des bilans d’aménagement déficitaires, soit par une volonté initiale de changer de modèle et de créer une offre personnalisée, à prix abordable, dans des secteurs métropolitains tendus.
C’est le cas des maisons « Ropartz », quartier Maurepas à Rennes, avec des résultats intéressants à plusieurs titres :
- « Des maisons d’architectes, qualité de conception, pas d’uniformité mais des maisons sur mesure qui répondent aux besoins spécifiques de chaque famille. »
- Un projet qui a répondu à l’objectif de « faire venir une population différente dans un quartier ANRU.
- Ce qui a attiré́ les familles, c’est les qualités objectives du quartier (desserte, équipement), et la possibilité́ de réaliser « la maison de leur rêve » à un prix abordable : environ 265 000 €TTC tout compris pour une maison de 90 m² en pleine ville. »
Mais les limites du dispositif tel qu’il a été mis en place rappellent celles de l’habitat participatif mentionnées plus haut : un process « très chronophage, lourd à suivre pour le pilote, car il faut faire un suivi individuel, y passer beaucoup de temps. » S’en suit une difficulté qui est proportionnelle à la taille de l’opération.
Deux pistes devraient nous permettre d’éviter cet écueil, qui rend en l’état difficilement imaginable d’appliquer un tel processus d’accompagnement à l’échelle d’une opération d’envergure.
La première, réside dans la miniaturisation des opérations, qui a été la voie suivie pour la 2e étape de l’expérience des maisons Ropartz à Rennes : « 10 chantiers, c’est faisable, mais 15 c’est trop compliqué. Dans la deuxième tranche, nous allons découper en 3×5 chantiers mutualisés (ce qui suffit pour réduire les coûts). » Nous pensons qu’il faut aller de façon plus extrême dans cette direction, en rendant indépendants les chantiers les uns des autres afin d’éviter toutes les difficultés et les lourdeurs induites, en optant pour des logiques de mutualisation des coûts et des achats groupés à l’échelle de l’opération entière et non de petites sous-parties de celles-ci, qu’on rend trop rigides en essayant de faire rentrer la construction de chaque lot dans un même process.
La seconde piste réside dans la conception d’une trame foncière suffisamment ample (un nombre de lots suffisamment importants) pour pouvoir organiser les chantiers de telle sorte qu’à un même moment, le nombre de chantiers actifs soit toujours important, permettant d’importante mutualisation de coûts, mais qu’en parallèle, les chantiers soient toujours détachés les uns des autres afin d’éviter les complexités de process et montages complexes inutiles, tout en construisant une charte chantier visant à en limiter les nuisances pour les habitants déjà installés sur le site.
Une trame flexible de micro-lots libres comme matériau de base des développements urbains de grande envergure à venir ?
Nous pensons que pour l’habitat participatif comme pour les lots libres accompagnés, plus nous essayons de faire ressembler l’opération à une opération de promotion immobilière classique, notamment par la taille, par la synchronisation des process, des montages et des financements, plus le process devient complexe, lourd, « chronophage », non viable et non déployable à grande échelle. Au contraire, plus nous donnons de la souplesse aux projets d’habitat participatif et aux lots libres accompagnés, plus ceux-ci auront la capacité à s’adresser à une large part de la demande, notamment dans un contexte métropolitain où ces 2 formes d’habitats présentent l’immense avantage d’éviter les coûts importants de la promotion immobilière (lots libres accompagnés) ou d’une promotion immobilière déléguée (habitat participatif).
C’est l’histoire préindustrielle de l’urbanisme en Europe, mais également les développements actuels sur d’autres continents dont les métropoles sont en fort développement, qui nous confortent dans cette intuition : nous constatons que les micro-lots à bâtir, que ce soit pour de l’habitat individuel à maîtrise d’ouvrage habitante, ou de petites opérations d’habitat collectif en micro-promotion, ont souvent été et sont encore aujourd’hui un outil majeur pour le développement de quartiers nouveaux ou de villes neuves : l’approche par micro-lots, conçus de façon personnalisée et sur mesure, semble être un chemin qu’a souvent emprunté l’urbanisme pour marier quantité et qualité.
Des échoppes bordelaises jusqu’aux incommensurables développements périurbains de Jakarta en Indonésie, en passant par les plaines métropolitaines du Japon, ou encore les lotissements des villes franches médiévales françaises, dont Montferrand est un parfait exemple, l’approche par grandes trames de micro-lots a, de façon presque universelle, formé le matériau principal de développements urbains de grande envergure sur tous les continents et à toutes les époques. Il ne tient qu’à nous de le réinventer pour répondre aux enjeux de ce début de 21e siècle.
Réinventer l’urbanisme pour en faire un service sur mesure, puissant et vertueux
Pourquoi ces formes d’urbanisme sur mesure, personnalisées, par micro-lots libres, ne nous sont-elles plus accessibles comme outil de production de nos villes actuelles ? Pourquoi nos projets d’habitats participatifs et d’accompagnement de particuliers par des architectes ne concernent-ils que de (toutes) petites opérations ? Notre expérience nous indique que la réponse à cette question tient plus dans notre posture professionnelle que dans une difficulté de compréhension ou d’intérêt des habitants eux-mêmes.
D’un côté, l’habitat participatif relève d’une démarche militante, menée par des groupes d’habitants pionniers qui souhaitent inventer de nouvelles façons de vivre ensemble et qui sont prêts à s’engager dans une aventure très consommatrice de ressources humaines : ils vont faire du projet de construction de leur habitat un véritable « projet de vie » en soi. Par nature, ces démarches ne peuvent concerner la grande majorité des habitants d’une métropole.
De l’autre côté, la vente de lots libres avec accompagnement ou « visa d’architecte » obligatoire laisse très souvent un goût amer aux architectes comme aux habitants. Ainsi, dans l’exemple de Rennes, « pour les architectes, travailler avec des familles pas forcément convaincues de l’apport de l’architecte » et la « nécessité́ de convaincre, de faire ses preuves », est une véritable difficulté. Nous connaissons les mêmes retours d’expérience ailleurs.
Nous pensons que c’est une approche de l’urbanisme envisagé comme un « service sur mesure » qui nous permettra de dépasser ces frontières qui semblent contenir le potentiel de ce type d’actions. Au-delà des difficultés logistiques et organisationnelles inhérentes à la mise en place d’un accompagnement d’une quantité importante de porteurs de projet, relevées à la fois dans les expériences d’habitat participatif et de lots libres accompagnés par des architectes, c’est l’approche qui fait primer le « projet » sur les « personnes » qui pose problème. Si une école est organisée pour faire progresser des élèves en tant que personnes, leur donner le goût d’apprendre et de la vie en société, en s’adressant à chaque individu, si un hôpital est une gigantesque organisation permettant d’accueillir et de soigner des patients en tant que personnes, l’urbanisme n’est pas encore conçu comme un rassemblement de métiers et de compétences permettant de rendre un service d’urbanisme sur mesure, à la personne.
Nous pensons qu’il ne s’agit pas tant de « convaincre » que de « répondre » à une aspiration, qu’il ne s’agit pas tant de « sensibiliser » que de « communiquer » et de se faire comprendre, pas tant d’imposer le projet collectif aux individus que de le par et avec les projets individuels. Il ne s’agit pas, selon nous, de penser une esthétique pour tous a priori mais de donner de la liberté pour qu’une beauté vivante émerge des sensibilités de chacun.
L’histoire intellectuelle de l’urbanisme est liée à une posture de contrôle par le projet et par la planification : si nous développons des lots libres denses en grand nombre, qui impliqueront qu’un grand nombre de constructions finiront par être mitoyennes, ce qui posera de nombreuses questions de logistique de chantier et de relation entre voisins, alors l’approche qui consiste à contrôler le développement par un plan, un projet et des règles ne sera pas un outil suffisant. Il nous faut, pour être capable de fabriquer cet urbanisme des micro-lots, inventer le complément de l’ « urbanisme de projet » : l’urbanisme comme service sur mesure, pour tous !
Nous pensons qu’il y a 2 façons de sortir de « la politique des petits pas » et d’atteindre des résultats sans commune mesure avec nos pratiques actuelles : la première consiste à s’orienter vers des solutions technologiques de pointes ou sophistiquées, qui sont difficilement mobilisables dans le cas de projets à maîtrise d’ouvrage habitante. La seconde consiste à sortir du paradigme industriel qui implique une standardisation et une répétition à l’identique, pour produire des configurations uniques lieu par lieu, parcelle par parcelle, rue par rue, îlot par îlot : c’est la faculté d’adapter, grâce à l’accompagnement d’un concepteur, chaque jardin, chaque maison, chaque rue en fonction des éléments environnants qui nous permettra d’élever considérablement le niveau d’ambition et de cohérence des développements urbains à venir.
Les vertus méconnues de l’autopromotion et de la filière courte en matière de production d’habitat
L’auto-promotion sur mesure est plus abordable que la promotion standardisée
Le logement métropolitain semble petit à petit s’orienter vers une production duale : le logement locatif social d’un côté et le logement en promotion libre de l’autre. Le premier est soutenu par une politique de rachat, en VEFA notamment, à des prix cadrés, le second répondant à des montages financiers complexes construits sur des logiques de compte à rebours. Or construire un compte à rebours à partir d’un prix cible « abordable » (le budget médian d’un ménage accédant se situe autour de 200 000 € en France, soit un coût de revient à 2 000 €/m² pour un logement familial de 100 m²) aboutit à une impossibilité, pour les promoteurs, de se positionner, leurs coûts de production, hors foncier, étant déjà supérieurs à ce montant.
Comme l’a analysé l’économiste Jean-Charles Castel, faire bâtir une maison individuelle pour soi-même, sur mesure, sur un terrain dont on a fait l’acquisition demeure toujours, aujourd’hui, l’outil principal du logement abordable en France. Et c’est cette dimension économique qui explique, en très large partie, le phénomène de périurbanisation et d’étalement urbain observé autour des cœurs métropolitains.
D’où l’idée de réintroduire, en ville, de l’habitat construit en autopromotion, c’est-à-dire dans une configuration, individuelle ou collective, où c’est l’habitant qui fait bâtir son propre habitat.
L’auto-promotion sur mesure peut permettre de réaliser des économies en phase de réalisation
La réalisation des finitions et l’auto-construction partielle, à différend degrés, sont l’un des facteurs clés de production d’un habitat abordable, favorisés par un contexte sociologique favorable où l’une des ressources principales dont disposent les familles est le temps. La fréquentation des supermarchés de bricolage en témoigne (hausse de 2% / an des chiffres d’affaires), la simplicité d’emploi des matériaux (à la fois en décoration et en second œuvre), permet aux non professionnels de contribuer à la construction de leur logement, et à une part significative d’entre eux, d’en assurer la maîtrise d’œuvre.
Ce système sur mesure, travaillé en amont avec le constructeur, le maître d’œuvre ou l’architecte, laisse à l’acheteur un choix précieux aux futurs habitants lorsqu’ils doivent arbitrer entre toutes les composantes d’un projet de construction de logement. Il permet également à la collectivité et aux équipes qui l’accompagnent d’envisager différents niveaux d’accompagnement à l’auto-construction en fonction des familles de cas : sensibilisation à l’écoconstruction, aux techniques d’auto-construction accessibles et écoresponsables, évaluation de la capacité des auto-constructeurs à pré-dimensionner l’effort, afin de ne pas se lancer dans un chantier catastrophe, accompagnement technique, assistance à maîtrise d’œuvre du chantier, aide à la conception, à la planification…
L’auto-promotion sur mesure peut redéfinir un lien organique entre offre et demande
Nous avons hérité d’une vision binaire de l’urbanisme et de la production d’habitat avec, d’un côté, une offre de centre-ville, dense, majoritairement constituée d’appartements situés à bonne distance de l’animation urbaine, des transports, des emplois, services, équipements et commerces, et de l’autre, une offre péri-urbaine qui a été portée ces 50 dernières années par la double figure du pavillon et du lotissement.
Même les notions d’habitat « intermédiaire » ou « groupé » suit cette vision binaire, en essayant d’introduire un troisième « standard », celui du milieu, tentant de concilier les avantages de la maison individuelle et ceux des formes urbaines plus denses.
Or nous avons hérité ce découpage artificiel des périodes industrielles de production de formes d’habitat par grandes opérations d’aménagement et/ou de promotion immobilière, qui ont du faire un pari, prendre un risque sur la nature de « la » demande d’habitat : un pari sur la forme et la taille des lots à aménager dans le cas d’une opération d’aménagement, puisque le découpage des lots intervient avant leur commercialisation ; un pari sur la surface et la configuration des logements dans le cas d’une opération de promotion immobilière.
Si ce pari sur une demande « moyenne » a pu avoir un sens des années 1960 aux années 2000, il devient de plus en plus évident que c’est aujourd’hui une multitude de situations et de profils différents qui constituent les particuliers désireux de faire bâtir leur résidence principale, malgré des outils (lotissements et immeubles en promotion) qui continuent, encore, par leur nature même, à faire le pari d’une offre moyenne, qui trouve de plus en plus difficilement preneur.